Les nouveaux défis économiques dans les pays d'Afrique subsaharienne francophone doivent reposer en partie sur un droit des affaires plus attractif et efficace. Or, pour certains entrepreneurs, le droit OHADA (Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires) demeure rigide sur de nombreux points. Pour d’autres, il a fait l'objet d'une profonde réforme et semble adaptée aux enjeux actuels. Maître Caroline Germain, avocate inscrite aux barreaux de Paris et du Burkina Faso, titulaire d’un Mastère Spécialisé en Droit des affaires internationales & Management à HEC et spécialiste en droit OHADA, a accordé une interview à Forbes Afrique afin d’apporter un éclairage sur la question.
Forbes Afrique : Interviewé par la chaîne "Africa 24 " en 2015, le milliardaire nigérian Aliko Dangote affirmait qu’il est difficile pour un africain de faire des affaires dans les pays d’Afrique francophone, reprochant au passage à la France son emprise sur leur économie. Dans cette déclaration, ne faut-il pas également voir une manière de reprocher aux institutions de l’OHADA l’instauration d’un droit des affaires, calqué sur le modèle français, peu propice à la création d’entreprise et à l’émergence de Business Angels ?
Caroline Germain : Je ne pense pas que l’on puisse reprocher à l’OHADA d’être un frein à la création d’entreprises. En effet, après 23 années d’existence, nous nous devons de faire le constat suivant : l’OHADA a bouleversé le monde des affaires sur le territoire des Etats membres; cette organisation fonctionne et constitue un outil de promotion de la sécurité juridique et judiciaire dans les Etats parties. Le législateur ne s’est pas contenté de calquer le modèle Français. Il vise à permettre une meilleure adaptation du droit OHADA à la réalité des affaires sur le territoire de ses Etats membres.
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En effet, ce dernier apparait comme un moyen pragmatique et puissant d'intégration économique, ainsi qu’un produit hétéroclite et hybride, puisant également son inspiration dans le droit international (ex : convention de Vienne sur le droit international de la vente de marchandises), qui reste naturellement perfectible, d’où les révisions et mises à jour régulières des actes uniformes. Ne perdons pas de vue que le traité de Port Louis, fondateur de l’OHADA, a réuni des pays de l’espace africain francophone,qui ont hérité d’une tradition juridique commune (de droit continental), ce qui a d’ailleurs facilité les rapprochements. Néanmoins, l’OHADA a vocation à accueillir des états africains qui ne sont pas nécessairement francophones ou qui appartiennent à la tradition juridique du droit continental. En effet, le traité fondateur ouvre la porte à tous les Etats qui sont membres de l’Union Africaine et à d’autres états non membres unanimement invités à rejoindre l’OHADA. Prenons l’exemple du Cameroun, qui connaît deux systèmes juridiques : le droit continental et la Common Law appliquée dans la partie anglophone du pays. Enfin, force est d’admettre qu’aujourd’hui, l’OHADA a créé un environnement sécurisé et favorable à l’entrepreneuriat et donc propice à l’arrivée d’investisseurs. Des documents "Doing Business" établis par la Banque mondiale pointent systématiquement l'inefficacité des tribunaux qui tranchent en cas de litige commercial dans la zone OHADA.
Vous êtes inscrite au Barreau du Burkina Faso. Ces rapports de la Banque mondiale reflètent-t-il la réalité dans le pays ?
C.G : Au Burkina Faso, il n’y avait pas de juridiction spécialisée dans le traitement des litiges commerciaux avant 2010, date à laquelle les tribunaux de commerce ont vu le jour. Avant cette date, il serait illusoire d’affirmer qu’il n’existait pas de difficultés le traitement des conflits commerciaux. Néanmoins, nous devons faire le constat suivant : les choses changent et elles changent dans la bonne direction. Ainsi, la création des tribunaux de commerce, l’introduction des juges consulaires aux côtés des juges de carrière ; la limitation de la compétence du tribunal aux litiges de plus d’un million de francs CFA a eu pour effet de réduire de manière significative les délais de traitement des dossiers commerciaux et d’améliorer la qualité des décisions par la spécialisation des juges. Enfin, au Burkina, il faut noter le recours au Centre d’arbitrage et de médiation de Ouagadougou (CAM-CO). A cet égard, le tribunal de commerce saisi, a l’obligation d’informer les parties de leur possibilité de solliciter le règlement de leurs différends par voie de médiation, de conciliation ou d’arbitrage. En conséquence, selon moi, la justice commerciale au Burkina s’est modernisée et adaptée aux exigences des justiciables, tant d’un point de vuE juridictionnel que par le développement des modes alternatifs de règlement des conflits.
Quelle est votre opinion au sujet des frais de création d’une société qui sont plus élevés que le salaire moyen en Afrique ?
C.G : La réglementation sur ce point a évolué depuis la modification, en 2014, de l’acte uniforme relatif aux sociétés commerciales (l’AUSCGIE) ; les règles de création de société ont été assouplies. Ainsi, s’agissant de la SARL (société à responsabilité limitée) il était auparavant imposé un capital minimum de 1.000.000 FCFA, soit près de 1525 euros, et le recours obligatoire au notaire. Désormais, le droit OHADA permet aux états parties d’adopter des dispositions nationales contraires et de prévoir un capital minimum inférieur (ce qui a été le cas par exemple, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Togo, au Burkina Faso) et de rendre le recours au notaire facultatif. Au Burkina, par exemple, le gouvernement a adopté un décret fixant le capital social minimum pour la création des SARL à 5 000 FCFA (7 euros 62 centimes). L’intervention du notaire est facultative. Sur cette question de capital social, je souhaiterais rappeler, qu’avant le droit OHADA, le montant du capital minimum nécessaire à la constitution d’une SARL variait de 250.000 FCFA (Cameroun) à 3.500.000 FCFA (au Niger). Par ailleurs, je souhaiterais également souligner que l’acte uniforme révisé a doté l’OHADA d’un nouvel outil sociétaire qui est la SAS (société par actions simplifiées) qui n’exige aucun capital minimum pour sa constitution. Nous assistons donc à une évolution significative en vue de favoriser l’accès du plus grand nombre à l’entrepreneuriat dans un environnement sécurisé. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette avancée.
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