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Démocratie & Gouvernance : Comment renforcer l’engagement citoyen en Afrique ?

Dernière mise à jour : 14 oct.


Le déficit démocratique croissant dont souffrent la plupart des pays d’Afrique représente un problème épineux, ce qui engendre un fort sentiment d’éloignement entre les citoyens et leur sphère politique dans cette partie du monde.

Pour cette raison, lors d’un webinaire intitulé " L’évolution des démocraties, des gouvernances et de l’État de droit en Afrique " qui s'est tenu le 11 Février dernier, plusieurs intervenants, parmi lesquels, Nathalie Delapalme (Directrice exécutive de la Fondation Mo Ibrahim), Abdou Block (ex ministre des affaires étrangères de Djibouti), Marie-Reine Hassen (ancienne ministre déléguée aux Affaires étrangères de Centrafrique), Thomas Dietrich (journaliste et écrivain français), Hatem Ben Salem (ex-ministre de l'Éducation et de la Formation de Tunisie), Nadia Nahman (Cheffe de cabinet et porte-parole du Président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée), Mario Giro, ancien vice-ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale) et Didier Acouetey (PDG du cabinet de recrutement AfricSearch), ont identifié des pistes de solutions sur les meilleures voies menant à l'ancrage d'une démocratie pérenne et stable au bénéfice des peuples.

Le webzine CEO Afrique, qui a visionné cette e-conférence, a décrypté le sens de cet idéal démocratique, porteur de valeurs fortes autour de l’éthique, la morale, les droits humains et l’exigence.




Sur un continent africain marqué par une profonde aspiration chez les populations à des États de droit et des modes de gouvernance sains, efficaces et transparents, force est de constater que le processus de démocratisation y est long, souvent irrégulier et semé de nombreux embûches, avec une dynamique de pouvoir qui varie selon les pays, les gouvernements, voire les sensibilités politiques. Contestée, détériorée ou altérée, la tenue d'élections tout aussi libres, régulières et pacifiques est devenu une chimère aux yeux des votants et les scrutins présidentiels laissent systématiquement peu de place au suspense.


« Nous avons constaté, à travers les différentes éditions de l’indice Mo Ibrahim, une insatisfaction, un désintérêt et une défiance croissante des populations africaines et de la jeunesse en particulier à l’égard des gouvernements [ .... ]. On peut considérer que cette génération est sacrifiée : elle est pratiquement dénuée de tout perspective économique et a le sentiment d’être désappropriée de toute décision politique » rapporte Nathalie Delapalme, directrice exécutive de la Fondation Mo Ibrahim.


Une observation qui a donné l’occasion à Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), de rappeler que « que nous en sommes désormais au 134ème coup d’état sur le continent [ ... ]. L’Île Maurice, le Botswana, le Cap-Vert font partie des rares pays les plus vertueux, figurant dans le dernier baromètre de l’indice de bonne gouvernance Mo Ibrahim ».



L’ancien ministre tunisien de l’Éducation et de la Formation, Hatem Ben Salem, souligne pour sa part la longue suite de rancœurs et de frustrations de la population, exprimées notamment par la jeunesse dans son pays :


« [ ... ] Aujourd’hui, la Tunisie est une vraie démocratie, une démocratie certes handicapante, compliquée et ruineuse, mais réelle. Les changements politiques de 2011 ont été portés par les jeunes tunisiens. Mais cette jeunesse a été totalement écartée de la participation à la construction de ce modèle démocratique qu’est la Tunisie » .


De son côté, l’ancienne ministre déléguée aux Affaires étrangères de Centrafrique, Marie-Reine Hassen, évoque les maux qui rongent la RCA et provoquent des situations d'instabilité :


« Le credo du MESAN [Mouvement pour l'évolution sociale de l'Afrique noire, NDLR] — un parti fondé par le père fondateur de la République centrafricaine, Barthélemy Boganda — se déclinait en : " Nourrir, Loger, Vêtir, Soigner et Instruire" . Ces objectifs primaires, précisés dans les cinq verbes, n’ont pas été atteints [ ... ]. Le système éducatif centrafricain est extrêmement fragile, voire presque inexistant. De ce fait, la jeunesse, peu éduquée et peu formée, n’a jamais pris l’habitude de prendre en main la gestion citoyenne de l’économie de son pays et est constamment éloignée de la politique [ ... ]. Le mode de gouvernance, calqué sur le modèle néo-patrimonial, a complètement écarté les jeunes. Comment peut-on envisager, pour cette jeunesse sans outil intellectuel, la possibilité d’incarner un jour une nouvelle génération de femmes et hommes politiques éclairés, aptes à administrer leur pays ? [ .... ] ».


 

 

Tout en pointant le problème de l’efficacité de l’action politique en Afrique, l’ex-vice-ministre italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Mario Giro, veille à relativiser les choses, estimant que : « La démocratie, en ce moment, souffre d’une crise globale. Elle est en retrait un peu partout dans le monde, vis-à-vis d’un autre modèle, le modèle "autoritaire" qui est devenu très en vogue » .


Le témoignage de Thomas Dietrich, journaliste et écrivain français, met plutôt en évidence la mauvaise gouvernance ou l’absence de véritables politiques industrielles observées dans de nombreux endroits d’Afrique, des facteurs importants de dégradation économique et donc de chômage massif :


« Le Tchad figure parmi les pays les plus pauvres du monde. Pourtant, cet Etat dispose de ressources extraordinaires dans son sous-sol : le pétrole, l’or etc ... Idem pour la Centrafrique qui est l’un des pays les plus riches d’Afrique, avec près de 700 indices miniers répertoriés. Pourtant sa population est pauvre [ ... ] ».


 
 

En plus de cette dose de scepticisme et de la perte de confiance à l'égard du politique, l’aspect sacré du droit d'aînesse dans les sociétés africaines, supposé ou réel et impliquant le respect — voire la crainte — chez des personnes plus âgées par rapport à soi, toucherait à l’un des principes fondamentaux de la démocratie, celui de l’égalité politique entre les citoyens.


« [ ... ] Faire de la politique suppose d’être capable d’accepter la contradiction de son interlocuteur, de savoir réaliser un exercice profond d' autocritique. Dans nos sociétés africaines où il existe un certain droit d’aînesse qui peut prévaloir, de par la conjonction de facteurs culturels, religieux ou éducatifs, on se brime ; on s’autocensure ; on a du mal à interpeller nos aînés [ ... ] » analyse Nadia Nahman.


Tous ces constats, établis par les populations, les partis d’opposition et la majorité des politologues, constituent un rappel des défis posés aux jeunes États africains dont l’indépendance a été acquise en 1960 pour la plupart d'entre eux. Ils révèlent une aspiration de changement radical visant à replacer la démocratie au cœur des sociétés et ont donné l’occasion à des acteurs de la vie politique issus de quelques pays de débattre, lors de ce colloque organisé par le Club 02A (dont Alain Dupouy est le président-fondateur) en partenariat avec l’Institut Prospective et Securité en Europe - IPSE (présidé par Emmanuel Dupuy) , sous le thème " L’évolution des démocraties, des gouvernances et de l’État de droit en Afrique" afin de dégager de nouvelles perspectives.


Des propositions concrètes de changement


Pour autant, Nadia Nahman, cheffe de cabinet et porte-parole du président du parti politique UFDG (Union des Forces Démocratiques de Guinée) analyse la situation de façon optimiste :


« Les jeunes ont toujours été aux avants-postes des combats contre les restrictions des libertés fondamentales et les atteintes à la démocratie et à l’ État de droit. Lorsqu’ils descendent dans la rue, les régimes autoritaires vacillent, trébuchent et tombent. Lors de ces 60 dernières années à travers le monde, les jeunes se sont affirmés comme de véritables acteurs à part entière de l’action politique et sociale et ont opéré des changements ayant profité à tous. L'histoire le montre : du processus de décolonisation jusqu’à la chute du communisme; de la dissolution du régime de l’apartheid en Afrique du Sud au Printemps arabe; du mouvement "Occupy Wall Street", du "Balai citoyen jusqu’au "Y'en a marre" au Sénégal, en passant par le NDC en Guinée ou le mouvement mené par Joshua Wong, l’une des figures les plus emblématiques de la contestation à Hong-Kong ».


Première étape pour remédier aux crises institutionnelles qui secouent l'Afrique : inculquer l'esprit de démocratie et de la citoyenneté aux populations, tout âge confondu, et à en faire des citoyens responsables, un point de vue défendu par Hatem Ben Salem :


« Pour ce qui est de mon pays, il est très important que se mettent en place des institutions capables de vulgariser la politique. La Tunisie n’a aucune tradition du dialogue politique; les éléments de la culture politique démocratique y sont absents. L’initiation et la formation des jeunes à la politique sont aujourd’hui, à mon sens, la plus grande urgence. Je rêve d’une grande académie nationale en Tunisie qui transmet ses idéaux » .


 
 

Nadia Nahman abonde en ce sens, adhérant à l’idée qu’il soit « fondamental de mettre à disposition des jeunes africains des outils éducatifs, les formant au processus démocratique, à la citoyenneté, à la prise de décision, à la gouvernance et au leadership ».


Nathalie Delapalme poursuit cette même lignée de pensée, jugeant « qu'on ne peut pas résumer la démocratie, en Afrique, à des élections exécutives qui se tiennent, au mieux, tous les cinq ans [ ... ] Il faut absolument avoir cette réflexion permanente pour savoir ce que signifie le mot "démocratie", connaître ses fondements et ses valeurs ... ».


Même son de cloche chez Marie-Reine Hassen, soutenant qu’il faille « former les gens à la politique, que les populations comprennent ce que c’est qu’une élection, un vote, leurs droits, devoirs et responsabilités en leur qualité de citoyen etc...» .


L’ancienne diplomate centrafricaine pousse d’ailleurs la réflexion beaucoup plus loin, quant à la nécessité absolue de professionnaliser la vie politique :


« La politique est un métier. L’efficacité de l’action publique dépendra de la qualité des membres d’une équipe gouvernementale. Il est impératif, pour nos pays africains, d’avoir recours à de nouvelles ressources humaines, techniques et politiques [ ... ]. La définition des compétences requises pour chaque portefeuille ministérielle devient incontournable. Diriger un ministère, c’est manager une équipe et gérer des compétences. Les ministres doivent être des managers qualifiés et expérimentés, leur conférant la capacité de gérer une structure d’ État et leur donnant la possibilité de mettre à profit leur connaissance du terrain. Ajouté à cela, l’intégrité morale des membres d’un bon gouvernement. L’intégrité est aussi l’un des ingrédients qui fera renaître la confiance auprès des populations, de la communauté internationale et des bailleurs de fonds » .


Toutefois, ce souhait de professionnaliser les activités politiques peut paraître, pour certains, en totale contradiction avec le principe propre à un État de droit, comme étant " le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ", signifiant donc que la souveraineté appartienne à ce peuple qui forme une communauté de destins. Une thèse que semble partager Didier Acouetey :


« La politique est un bien commun. Elle ne doit pas être réservée à des spécialistes qui envisagent d’exercer ce métier toute leur vie. S’il en vivent , ils ne voudront, évidemment, jamais quitter le pouvoir. Si on a des compétences à faire valoir, on peut servir son pays durant quelques années et envisager de faire autre chose par la suite. Donc, on ne peut pas s’installer et rester un éternel politicien. Les entrepreneurs, patrons de start-up ou acteurs de la société civile peuvent très bien s’investir dans la chose publique. La politique ne doit pas être réservée exclusivement aux initiés » .


Un autre scénario, dans le cadre du processus de démocratisation des pays africains, est envisagé parmi ses défenseurs : celui de la réduction des prérogatives présidentielles et de la prééminence de ces chefs d’État.


« [ ... ] Il y a une concentration excessive des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, déplore Didier Acouetey. Au niveau institutionnel, il faudrait "dépouiller" les présidents de leurs attributs. La gestion du pouvoir doit être décentralisée le plus possible. Il faut redonner du pouvoir aux communautés, aux localités etc ... , donc déconcentrer le pouvoir et permettre aux gens de l’exercer à des échelons inférieurs ».


Un sentiment auquel l’ex-vice-ministre italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Mario Giro, fait écho :


« Il faut "briser" la centralisation en Afrique, sortir du présidentialisme, essayer de répartir le pouvoir décisionnel au sein des institutions autant que possible; migrer vers un système parlementaire à part entière afin de contrebalancer les pouvoirs présidentiels » .


En somme, le renforcement des pouvoirs locaux se ferait nécessairement en affaiblissant notamment le pouvoir exécutif au sein des institutions.


Mais, au delà des solutions classiques en vue d’améliorer la démocratie et favoriser l’engagement civique, d’autres semblent privilégier une approche purement "technologique", s’appuyant sur le numérique qui pourrait influer durablement et positivement sur l’État de droit. L’ idée de révolutionner la manière dont s’exerce la démocratie avec les nouvelles technologies séduit plus particulièrement l’ancien ministre des affaires étrangères de Djibouti, Abdou Block.


« Pourquoi ne pas adopter le système de reconnaissance faciale, pendant les opérations de vote ?, s’interroge l’ancien diplomate djiboutien, faisant sans doute allusion à des projets d'identification biométrique qui permet d’authentifier à grand échelle les électeurs, afin d’améliorer le processus électoral d’un pays. Dans tout projet visant à enraciner la culture démocratique, la transparence revêt aussi une importance capitale. Il faudrait, par exemple, filmer et enregistrer les audiences, téléviser tous les actes et décisions liés aux passations des marchés publics etc ... ».


Dans un tout autre registre, Thomas Dietrich préconise que « les États africains puissent inventer leur propre système politique, doté d’une constitution appropriée. C’est particulièrement vrai dans les États francophones, au sein desquels l’héritage du système français est resté figé depuis l’année 1958; on a l’impression que rien a bougé jusqu’à ce jour [ ...] ».


Le développement du secteur privé, indissociable de la gouvernance politique


À côté de ces enjeux institutionnels, les attentes citoyennes des Africains vont également vers un renforcement des politiques économiques au centre duquel est placé l’entrepreneuriat.


« Nous avons assisté, ces dernières années, au phénomènes des start-up, à la créativité des jeunes qui essaient de se prendre en main, mais qui, malheureusement, bénéficient aucunement d'un écosystème susceptible de transformer leur idée en une véritable entreprise et, pourquoi pas, en champion national ou local [ ... ]. Le rôle que joue le secteur privé dans la construction politique est tout aussi important, car les acteurs économiques créent de la richesse et, donc, "nourrissent" le pays et la politique. Ils engendrent également une nouvelle race de managers qui peuvent eux-mêmes inspirer des jeunes. La contribution du secteur privé est de toute évidence essentielle à l’action publique » déclare Didier Acouetey.


 
 

Une affirmation qui atteste le principe selon lequel il est également essentiel, pour les pouvoirs publics, de se lancer dans la voie de réformes structurelles plus profondes, visant à établir la stabilité macroéconomique et l’amélioration du climat des affaires sur le continent africain.



 

Par Harley McKenson-Kenguéléwa

 

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