Le recours à ces experts connaît une augmentation significative, et ce n'est pas sans raison. En effet, ils représentent une source de flexibilité et d'efficacité précieuse pour les entreprises en période de transition sur le continent africain. Dans un webinaire intitulé "Le management de transition en Afrique ?" — organisé le 16 juin dernier par la Commission RH du CIAN (Conseil français des Investisseurs en Afrique) — quelques panélistes invités ont expliqué l'importance stratégique du management de transition au sein des entreprises africaines. Un événement auquel le webzine CEO Afrique a assisté en distanciel.
Les sociétés sont souvent confrontées à des défis majeurs tels que des restructurions importantes, des crises financières ou des développements de nouvelles activités. À ce titre, des cabinets de conseil, à l’instar d’Actiss Africa ou de Procadres International, leur offrent l'opportunité de bénéficier de l'expertise de managers de transition, des professionnels chevronnés capables de prendre en charge des responsabilités de direction dans des situations complexes et changeantes. Leur rôle principal est d'apporter une expertise spécifique et de guider l'entreprise à travers des périodes de mutation, de crise ou de transformation. « Le management de transition, c'est le fait de déléguer ses pouvoirs à un manager expérimenté, quelqu’un d’assez "trapu", pour une durée déterminée et à temps plein, qui prend en charge le maillon d’une entreprise » affirme Gilles Marque Associé chez Actiss Africa. Pour sa part, Xavier Jacomet, Associé à la "Direction Financière, Transformation Finance & Afrique" chez Procadres International, soutient que « Le management de transition en Afrique se distingue par sa nature de consulting opérationnel, car l'Afrique est un environnement où l'exécution et la vitesse sont essentielles. Cependant, le consulting opérationnel ne se limite pas à l'envoi d'un manager de transition dans un lieu isolé. Il s'agit véritablement d'accompagner l'entreprise dans la réalisation et l'exécution, ainsi que de conseiller sur les choix opérationnels. Ainsi, le manager de transition joue un rôle concret dans la mise en œuvre de la feuille de route de l'entreprise ».
Qu'il s'agisse de redresser une fonction en difficulté, de restructurer des processus inefficaces ou de lancer un projet stratégique, les managers de transition s'engagent pleinement dans la mission qui leur est confiée. Leur engagement à temps plein leur permet de se concentrer exclusivement sur les défis spécifiques de la fonction ou du projet, en travaillant en étroite collaboration avec les équipes internes pour garantir la réussite de la transition. « Le contrat de management de transition comprend généralement une prestation, parfois avec une durée prédéfinie, parfois sans durée spécifique. Chez ACTISS, nous sommes partisans du contrat à durée indéterminée, car lorsqu'une mission démarre, il est difficile de prévoir exactement quand elle prendra fin, car nous nous efforçons d'atteindre un objectif potentiel. En France, la durée typique d'une mission de management de transition est d'environ neuf mois, et mon expérience en Afrique confirme que cette durée est similaire » rapporte Gilles Marque.
Même son de cloche du côté de Xavier Jacomet qui va plus loin dans l’analyse : « La durée d'une mission de management de transition dépend en réalité de la typologie de la mission. Ce que j'apprécie particulièrement, c'est de laisser le choix au client. En général, nous débutons par une mission de trois mois, car cette période permet de réaliser un diagnostic approfondi et de formuler des recommandations. C'est sur la base de ces recommandations que nous travaillons ensuite sur la dimension opérationnelle. Concernant un cas concret de restructuration d'une usine de bois au Cameroun, la mission avait démarré avec la présence du manager sur place, tandis que j’étais en soutien, réalisant l'analyse financière des informations fournies par le client. À ce stade, j'avais relevé certaines anomalies concernant la rotation des stocks et la valorisation de l'usine de bois, ce qui m’avais semblé étrange. Nous avions donc entamé le travail : le manager s’était concentré sur les aspects opérationnels et locaux de l'organisation des lignes de production, tandis que je m'occupais des aspects liés à la gestion. Nous avions formulé ensuite des recommandations pour orienter les prochaines étapes de la mission. Dans ce scénario, nous avions prolongé la mission de six mois supplémentaires, mais au final, nous avons accompli notre mission en trois mois. Nous avions procédé à des recrutements locaux, car la transition, en fin de compte, consistait à redonner les clés de l'entreprise à ceux qui en sont responsables. Il s'agissait également d'identifier les ressources locales compétentes [ ... ] ».
Le concept de management de transition a émergé aux Pays-Bas dans les années 1970, avant de connaître un fort développement au Royaume-Uni et, par la suite, en Allemagne. « Il y a une trentaine d'années, les fonds de private equity ont commencé à faire appel au management de transition pour des besoins très spécifiques. Lorsqu'ils rachetaient des entreprises, notamment dans le cadre d'opérations de LBO, ils avaient besoin de mettre en place un directeur général de transition pour mener une transformation temporaire de leur prise de participation. De plus, ils pouvaient également déléguer un directeur financier de transition chargé de mettre en place des politiques de reporting au sein de la participation acquise. Par la suite, les entreprises elles-mêmes avaient également adopté le management de transition. Aujourd’hui en France, nous comptons près de 200 entités se positionnant en tant qu'entreprises de management de transition, et le marché connaît une croissance soutenue, dépassant les 15% par an. À l'échelle européenne, la France occupe la troisième ou quatrième place en termes de taille de marché, derrière l'Allemagne en premier, suivie par le Royaume-Uni et les Pays-Bas » explique Gilles Marque.
À ce stade, force est de constater que les données chiffrées spécifiques au management de transition sur le continent africain sont limitées, ce qui rend difficile la formulation de conclusions solides. En effet, le marché du management de transition en Afrique est encore en phase de découverte et d'exploration.
Cependant, force est de constater que les entreprises africaines commencent à reconnaître l'apport précieux que des managers de transition expérimentés peuvent offrir dans les périodes de changement, de transformation et de transition. Les défis auxquels elles sont confrontées sont uniques et nécessitent des compétences spécifiques pour les relever avec succès. « Le continent africain est devenu une terre d'opportunités pour de nombreuses entreprises. Dans ce contexte, il est devenu clair que la logique de l'expatriation n'est plus l'élément clé pour les cadres. Il est donc essentiel d'être en mesure de mobiliser des ressources compétentes. Les compétences rares en matière de compréhension du continent sont recherchées dans des domaines tels que la direction financière, la logistique et la chaîne d'approvisionnement, les ressources humaines et la direction commerciale. C'est ici que les entreprises de management de transition deviennent des acteurs importants, à condition de disposer d'un vivier conséquent de ressources ayant une forte connaissance de l'Afrique. Il convient de souligner que de nombreux cadres africains sont extrêmement compétents, ayant suivi des formations dans les mêmes universités que leurs homologues occidentaux. Il existe également des réseaux locaux de ressources souvent méconnus, mais avec lesquels il est possible de réaliser des projets très intéressants, pouvant être d'une grande valeur, notamment pour la localisation de certaines activités spécifiques » détaille Xavier Jacomet.
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Rene Bajikile Matala, bénéficiant d'une expérience de terrain de plus de vingt ans en tant que manager de transition sur le continent africain, apporte son éclairage sur la question et saisit cette occasion pour prodiguer quelques conseils précieux. Pour cet ingénieur agronome de formation, il est essentiel d'écouter attentivement les membres de l'entreprise sur place, avec l’idée que l'idée qu’un manager de transition se doit de reconnaître les compétences et les connaissances des membres de l'équipe tout en apportant une perspective externe et complémentaire : « Dans mon approche, j'aborde les choses avec humilité, tout en montrant concrètement ce que je peux apporter, par rapport à mon expertise. Par exemple, lors de ma mission au Ghana auprès d'une société spécialisée dans les engrais chimiques et les pesticides, qui a duré un certain temps, j'ai constaté des problèmes internes et un manque d'harmonie entre les membres de l'équipe. Mon objectif était de fédérer les personnes autour d'une vision commune. Il est important de souligner que, dans ce cas précis, j'avais une expérience préalable dans le domaine des engrais organiques, mais les engrais chimiques et les pesticides étaient nouveaux pour moi. Je n'ai jamais prétendu être un expert dans ce domaine, car les membres de l'équipe étaient plus expérimentés que moi. Cependant, j'ai su judicieusement apporter mon expérience et mon expertise, de telle sorte à pouvoir construire ensemble un projet solide ».
Par ailleurs, la typologie sectorielle révèle certaines tendances intéressantes. L'industrie pétrolière et gazière connaît une croissance significative avec de nombreux projets en cours. En raison de particularités propres à la structure africaine, on observe également une forte présence de services, de banques, d'assurances, de secteurs commerciaux, de chaînes d'approvisionnement et de commerce. « Les pays d'Afrique anglophone, sont généralement plus en avance sur l'utilisation de solutions offensives en matière de management de transition. Par conséquent, il y a une plus grande proportion d'entreprises issues de cette sphère qui font appel à ce type de service. Près de la moitié des entreprises de management de transition sur le continent africain sont situées en Afrique du Sud, mais le Maroc commence également à se démarquer », note Gilles Marque.
Il convient de mettre en exergue le fait que chaque mission de management de transition est unique et peut varier en fonction de la situation spécifique de l'entreprise. Les modalités et l'intensité opérationnelle peuvent être adaptées en fonction des besoins et des circonstances particulières. Gilles Marque souligne l'importance de prendre en compte la taille, les enjeux et l'importance de chaque mission. Pour ce faire, les trois parties impliquées dans le projet (le client, le manager de transition et l'associé du cabinet de management de transition) se réunissent autour de la table afin de discuter des objectifs visés et d'élaborer des pistes d'action : « Nous ne contraignons pas nos clients à mettre en place des comités de pilotage, mais nous leur recommandons vivement de le faire et nous l'incluons généralement dans le contrat. Parfois, nous sommes même amenés à présenter des avantages tangibles pour encourager la participation des clients, même si cela peut impliquer des réunions virtuelles. En revanche, nous imposons aux managers de transition de participer aux comités de pilotage, car il est essentiel de faire le point régulièrement avec eux [ ... ]. Une fois les accords conclus, le manager de transition se plonge véritablement dans l'opérationnel, travaillant généralement cinq jours sur sept, voire six jours sur sept, voire même sept jours sur sept, dans les meilleurs des cas ». Cette immersion complète permet au manager de transition de se consacrer pleinement à la réalisation des objectifs fixés, en mettant en œuvre les actions définies.
À la recherche de défis stimulants
Les managers de transition, quels que soient leurs antécédents professionnels, sont motivés par la possibilité de générer des changements tangibles au sein des entreprises qui font appel à leurs services. Ils sont experts pour intervenir dans des délais serrés et ne sont généralement pas attirés par la gestion quotidienne ou la perspective d'une carrière au sens classique du terme. Ce sont des passionnés de défis et apprécient la diversité que leur offrent les missions de management. « Le métier de manager de transition ne se limite pas aux personnes en fin de carrière ou à la retraite. En réalité, de nombreux managers de transition sont des individus âgés de 50 ans et plus, qui ont fait le choix délibéré d'embrasser cette voie. Ils ont généralement quitté des postes de haut niveau au sein de grandes organisations et considèrent le management de transition comme une option attrayante pour mettre à profit leurs compétences et leur expérience. Certains managers de transition préfèrent effectuer une ou deux missions de transition, puis décident éventuellement de retourner à un emploi à durée indéterminée qui correspond davantage à leurs aspirations à long terme. Ces personnes privilégient les enjeux à plus long terme et la stabilité offerte par un poste permanent. Cependant, il existe également des managers de transition qui sont passionnés par cette activité spécifique et souhaitent s'y consacrer exclusivement. Ils trouvent une réelle satisfaction à intervenir dans des entreprises lors de moments complexes et cruciaux, où leur expertise est mise à contribution pour résoudre des problèmes et favoriser la transformation » précise Gilles Marque.
La capacité à s'adapter à de nouveaux environnements, à assimiler rapidement les spécificités locales et à interagir avec des cultures différentes est cruciale pour réussir en tant que manager de transition. Cette mobilité sans faille permet aux managers de transition de répondre aux besoins des entreprises dans des contextes variés, qu'il s'agisse de régions rurales reculées ou de centres urbains animés. « Je pense que devenir manager de transition en Afrique ne se décide pas du jour au lendemain. Certaines missions requièrent une certaine résilience. En effet, le week-end, vous ne pourrez pas forcément rentrer chez vous ou vous rendre dans les centres commerciaux animés de Johannesburg ou dans des clubs de vacances. Il se peut que vous vous trouviez au milieu de nulle part. Dans ces situations, il est crucial de se doter d’un mental d’acier pour s'adapter et évoluer. C'est pourquoi la sélection des managers doit prendre en compte leur personnalité, leur compétence et leur solidité personnelle dans des environnements difficiles, afin de pouvoir intervenir de manière efficace » estime Xavier Jacomet.
Par Harley McKenson-Kenguéléwa
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