Volontarisme économique, nouvelles formes de l’aide publique au développement, entrepreneuriat, responsabilisation des acteurs publics ... Lors d'un webinaire intitulé " Covid-19 et crise pétrolière : Quels risques géopolitiques ? Quelles opportunités ? ", organisé le 10 juillet dernier par l’IPSE (Institut Prospective et Sécurité en Europe), plusieurs économistes, chercheurs et experts se sont succédé pour faire de multiples propositions en vue de limiter les dégâts économiques provoqués par la pandémie de Covid-19 qui a elle-même conduit à une chute vertigineuse du prix du baril de pétrole.
Le webzine CEO Afrique, qui a visionné cette e-conférence, vous dévoile les principaux extraits des interventions des participants.
Le cours du baril de pétrole qui plonge dans le négatif du côté de New York, soit -37,63 dollars en Avril 2020, le prix du baril du brut de la mer du Nord (Brent) qui chute très fortement à 17€ en moyenne etc... Des chiffres ahurissants qui témoignent de la fragilité de l’économie mondiale quasiment à l’arrêt à l’heure actuelle !
« Cette crise du pétrole en Afrique centrale est une crise internationale. [ ... ] C’est une crise de surproduction; il y a une incapacité de stockage : 70 % des capacités de stockage sont déjà saturées », explique Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).
Phillipe Sébille-Lopez, directeur & fondateur du cabinet d’analyse géopolitique "Géopolia" et auteur de "Géopolitique du pétrole", contextualise à son tour ce sujet, déclarant que « La demande pétrolière est liée la croissance mondiale. Dès lors que cette croissance mondiale est en panne ou stagne, les cours baissent [ ... ] » .
La combinaison des effets de la pandémie de Covid-19 et de la crise pétrolière complexifie la tache des décideurs, économistes et experts visant à trouver rapidement des réponses qui renforceraient la résilience des États aux chocs subis. Cela est d’autant plus vrai que les quatre pays d’Afrique centrale, membres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) — l’Angola, le Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale — , se trouvent confrontés à un effondrement brutal de leurs recettes publiques.
Il convient toutefois de noter que la plupart des autres pays de la sous-région ne disposent pas des capacités nécessaires pour encaisser ces chocs.
« [ ... ] Le Tchad, la République Démocratique du Congo, la République Centrafricaine et le Burundi sont en état de fragilité, rappelle Roger Ngbama, en charge des questions de la Région des Grands Lacs au sein de l’IPSE. Les économies des pays de l’Afrique centrale étaient déjà structurellement faibles, ajoute pour sa part Yoan Moussavou, économiste, spécialiste des marchés des hydrocarbures dans la zone CEMAC. Cette sous-région est aussi minée par des problèmes sécuritaires, avec la crise anglophone dans le Nord du Cameroun et la Centrafrique qui est dans une situation critique » .
Réinventer le business model des États de la sous-région et repenser l’aide publique au développement
« Cette trop grande dépendance des pays d’Afrique centrale producteurs de pétrole a montré ses limites et le temps est venu de changer de paradigme » déclare Lyna-Laure Amana-Priso, directrice-associée de Knowtify Partners, spécialiste des questions juridiques et des ressources humaines dans les métiers liés aux hydrocarbures.
Ce changement de paradigme, s’il doit apparaître comme une rupture radicale avec les mesures prises dans le cadre de précédentes crises, se révèle être l'occasion pour Emmanuel Dupuy d’ouvrir la voie à l'exploration et l'expérimentation de solutions inédites, notamment au sujet de l'impact du numérique sur l'émergence de l’Afrique, afin de relancer la croissance.
« [ .... ] Le continent Africain ira beaucoup plus vite que prévu en terme de digitalisation. Pour l’instant, ce sont 20 milliards d’euros qui sont induits par la digitalisation de l’économie africaine; À horizon 2050, ce sont 300 milliards d’euros qui contribueront à cette digitalisation. L’idéal serait d’instaurer une taxe sur les GAFAM et, plus généralement sur toutes les entreprises étrangères qui sont engagées sur le continent africain pour alimenter un fonds [ ... ] ».
Selon le politologue français, les pays de l’Afrique centrale devraient aussi profiter des grands bouleversements géoéconomiques, causés par la pandémie de Covid-19 et la crise pétrolière, pour établir ou inverser l'équilibre dans les rapports de force avec la Chine au sein de la sous-région, se rangeant ainsi du côté d’un grand nombre de décideurs, experts et spécialistes qui jugent que l’Empire du Milieu bafoue en permanence les règles du commerce international :
« [ .... ] Il en va de la responsabilité des pays africains d’imposer une nouvelle donne et de faire preuve de vigilance en ce qui concerne l’octroi de licences dans le domaine de la téléphonie. La pandémie de Covid 19 a beaucoup fragilisé la Chine qui est devenue plus malléable et susceptible d’être plus attentive aux doléances exprimées dans le cadre de démarches concertées entre les États africains. Il faut savoir qu’un bon nombre d’entreprises vont quitter la Chine pour se ruer vers l’Afrique. Dans le cadre de l’octroi des futures licences et de l’installation de câbles pour la connectivité Internet, les Africains doivent eux-mêmes exiger une mobilisation de tous les efforts possibles, en mettant un peu plus de pression, comme nous européens le faisons, et imposer leurs conditions auprès de ces investisseurs [ ... ] » .
Dans cette même lignée de propositions innovantes, Emmanuel Dupuy reprend à son compte une idée, initialement lancée par l’ancien ministre français Philippe Douste-Blazy qui dirigeait en 2017 une organisation internationale d'achats de médicaments, UNITAID, ayant pour vocation d'instaurer une taxe de solidarité sur le prix du baril, notamment du côté des industries extractives étrangères.
L’entrepreneuriat, au cœur de la relance post-Covid-19
Parmi les autres solutions possibles pour faire face aux conséquences de cette crise pétrolière, figure l’adoption de mesures chocs visant à renforcer l’attractivité des économies de la sous-région d'Afrique centrale . Selon Lyna-Laure Amana Priso, les autorités devraient ouvrir des pistes de réflexion pour stimuler l’entrepreneuriat :
« Nous sommes en présence d’une jeunesse dynamique et ambitieuse, dont une partie est plutôt bien formée et pouvant se donner les moyens nécessaires pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Et c’est d’autant plus important qu’elle est susceptible de devenir elle-même créatrice d’emplois ».
Un soutien qui pourrait donc se traduire par exemple — si l’on se réfère aux expériences mises à l'essai, évaluées et réussies dans des contextes observées hors du continent — par la sensibilisation des jeunes à l'esprit d'entreprendre dans le système éducatif (enseignement secondaire et universitaire), l’adoption d’un cadre juridique et fiscal destiné à encourager l’investissement productif orienté vers le long terme, ainsi que par la multiplication des offres d’accompagnement personnalisée à toutes les étapes, depuis l’émergence de l’idée jusqu’à l’appui au développement de start-up ou de PME, en passant par la recherche de financements.
Au delà du simple cadre de la création d’entreprise, Emmanuel Dupuy fait part de ses observations quant au « syndrome néerlandais [ ou la malédiction des matières premières, NDLR ] qui s’était caractérisé par le développement d’une économie mono-exportatrice axée autour d’une seule source d’enrichissement, durant près de trois siècles, et qui est malheureusement en train de gagner le continent africain » .
Partant de ce constat et devant le risque d'un blocage économique, l’ensemble des intervenants ont soutenu le point de vue selon lequel l'élaboration d'une stratégie de diversification pourrait en en partie sauver les pays d’Afrique centrale qui dépendent largement de la rente pétrolière.
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« [ ... ] On parle trop peu d’agriculture. Force est de constater que ce secteur constitue pourtant l’épine dorsale de l’économie africaine, particulièrement dans la sous-région d’Afrique centrale, avec près 70 % de la population active qui s’y trouve [ ... ] » renchérit Lyna-Laure Amana Priso.
Les dettes publiques : aubaine ou cadeau empoisonné ?
Nombreux sont les experts qui défendent l’idée d’un recours massif à la dette pour soutenir les économies africaines, une thèse à laquelle souscrit entièrement Roger Ngbama, estimant que l’augmentation de la dette publique serait un moindre mal.
« Vu la gravité et l’urgence de la situation actuelle, faute de recettes fiscales suffisantes, je suis d’avis que nos États doivent s’endetter ce qui permettra de relancer l’économie » .
Selon ce spécialiste congolais, la question n’est pas tant de se préoccuper du niveau d’endettement contracté par les pays, mais plutôt de bien d’utiliser cet argent à bonne escient.
Une apologie de la dette, dont les arguments ne convainquent aucunement Yoan Moussavou, spécialiste des marchés des hydrocarbures dans la zone CEMAC, craignant à contrario que les dépassements colossaux de budget, résultant d’un très haut niveau d’endettement, engendrent une dégradation des notations souveraines.
« [ ... ] Le fait qu’un État ne paie pas ses dettes impacte directement sur sa note souveraine. Les agences de notation vont prendre en compte ce défaut de paiement et dégrader cette note. Ce qui veut dire que ce pays sera soumis à des conditions plus restrictives et empruntera à l’avenir à des taux d’intérêt plus élevés. Cela se traduira donc par un endettement beaucoup plus cher [ ... ] » prévient cet économiste. La CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale) et la CEEAC ( Communauté économique des États de l’Afrique centrale) ont mis en place à un plan directeur de la diversification d’industrialisation, mais il n’y a tout simplement pas de financements. Avec la chute des recettes, les États n’ont pas la capacité de financer ces projets qui sont censés être vecteur de diversification [... ] ».
Un profond scepticisme partagé par Emmanuel Dupuy, qui redoute que les pays d’Afrique centrale basculent dans une spirale dangereuse de la dette, et mettant plutôt en avant le principe de responsabilisation des décideurs politiques dans la gestion publique :
« [ ... ] La réduction de la dette peut constituer une sorte d’assurance pour les exécutifs des États africains, ce qui pourrait les amener à ne pas faire grand chose pour régler leurs problèmes à l'avenir [ ... ]. Attention avec cette idée selon laquelle il faudrait réinjecter de l’argent sur le continent qui en a déjà beaucoup. Je crois, au contraire, qu’il faudrait le redistribuer en garantissant une gestion efficiente. Il ne faudrait pas toujours chercher la solution à l’extérieur, mais plutôt mettre davantage l’accent sur la responsabilisation en interne, la gouvernance et la conditionnalité de l’investissement [ ... ] ».
Pour une meilleure transparence des revenus pétroliers, un enjeu majeur de développement économique
Pour Phillipe Sébille-Lopez, auteur de "Géopolitique du pétrole", le fond du problème est ailleurs, pointant du doigt la gestion calamiteuse de la manne pétrolière qui aurait pu financer d’ambitieux programmes d’investissement dans les énergies et les infrastructures, une condition sine qua non pour développer le secteur privé :
« [ ... ] En 2018, les revenus pétroliers ont atteint près de 4 milliards au Gabon, 4,45 milliards au Congo, 5 milliards en Guinée Équatoriale et 36 milliards en Angola ! Plusieurs rapports nous indiquent que la gestion des revenus pétroliers n’est ni limpide, ni transparent, pour ne pas dire opaque [ ... ]. La gestion de la rente pétrolière en Afrique est une catastrophe, déplore t-il. Utiliser la rente pétrolière pour payer exclusivement ses fonctionnaires n’est pas considéré comme de l’investissement productif. Ces ressources financières auraient pu servir à développer des programmes de développement. Il incombe aux États d’investir dans l’énergie et dans les infrastructures, ce qui permettrait aux entreprises du secteur privé de se développer. Ce sont aux décideurs politiques de régler ce problème, et non aux bailleurs de fonds, aux organisations multilatérales ou aux compagnies pétrolières étrangères [ ... ]. À un moment donné, il faut clairement identifier les responsabilités » .
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Du point de vue d’Andréa Ngombet, spécialiste des questions de corruption, l'idéal est de mettre sur pied un nouveau bloc économique, regroupant tous les pays de l’Afrique centrale et s’inspirant fortement de l’ancienne Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA).
« La plupart des sociétés nationales de pétrole en Afrique centrale sont en quasi-faillite. Il y a une urgence de faire émerger des champions régionaux [ ... ]. Si ces producteurs mettaient leurs moyens en commun, ils deviendraient automatiquement un acteur majeur et négocieraient d’égal à égal, de par leur taille critique, recommande t-il [ ... ]. Par ailleurs, après des années d’errance stratégique, les pays producteurs de pétrole, issus de l’Afrique centrale, devraient se doter de leur propre OPEP locale, en vue de pouvoir fixer eux-mêmes le prix du baril en fonction des enjeux sécuritaires de la sous-région » .
Sur une note plus optimiste, Emmanuel Dupuy constate que l’engagement des compagnies pétrolières pour le continent, en termes de projets d’investissements structurants et d’impact sur l’emploi local, est resté intact :
« Le groupe pétrolier et gazier français Total opère actuellement de vastes projets: le Projet Moho Nord pour le Congo-Brazzaville, Egina pour le Nigeria et Kaombo pour l’Angola. Cela implique une nécessaire coopération émanant des États africains au niveau maritime, en vue d’ assurer la sécurité des flux pétroliers [ ... ]. L’ Italie d’ailleurs a décidé d’être de plus en plus présent dans l’accompagner aux investissements, notamment dans le Canal du Mozambique et dans le Golfe de Guinée » .
Par Harley McKenson-Kenguéléwa
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